Apres une période de ralentissement de l’économie mondiale depuis mi-2015, les indicateurs d’activité se sont redressés depuis cet été dans les pays développés, notamment en Europe, comme dans les pays émergents. En outre, les résultats des enquêtes de la BCE témoignent d’une amélioration des conditions de prêts aux entreprises.
De ce fait, les investisseurs s’inquiètent d’une éventuelle remontée des taux d’intérêts qui ont atteint cet été des points bas historiques. La Réserve Fédérale américaine, depuis sa réunion de Jackson Hole en août, fait part de son intention de relever à nouveau ses taux d’intérêt dès décembre 2016. En effet, le cycle de croissance aux Etats Unis a démarré en 2010, et la hausse des salaires horaires accélère depuis fin 2014 pour atteindre 2,8 % par an. De son côté, la Banque du Japon a indiqué qu’elle avait atteint les limites d’une politique d’injection monétaire trop expansionniste et qu’elle allait désormais gérer dans la durée sa courbe des taux. Quant à la Banque Centrale Européenne, son discours n’a pas changé: « les taux directeurs devraient rester à leurs niveaux actuels ou à des niveaux plus bas sur une période prolongée, et bien au-delà de l’horizon fixé pour nos achats nets d’actifs ». A ce stade, le marché n’anticipe pas un arrêt brutal des achats dès le 31 mars 2017, mais s’interroge sur une éventuelle diminution du montant de ces achats mensuels (sens littéral du terme tapering). En effet, depuis mi-2016, des membres de la BCE ont voulu tester le marché en laissant entendre qu’ils pourraient travailler à des hypothèses de réduction même très progressive du montant mensuel des injections après cette date. Malgré le démenti de Mario Draghi, le marché continue d’apporter crédit à ces rumeurs, ce d’autant que la BCE se heurte à la difficulté technique de trouver 80 milliards de titres éligibles à acheter tous les mois.
Le terme de tapering est utilisé pour le première fois le 22 mai 2013, quand la FED a déclaré envisager diminuer la taille de ses achats « If we see continued improvement and we have confidence that that's going to be sustained then we could in the next few meetings ... take a step down in our pace of purchases”. Cette annonce avait surpris les marchés et provoqué de la volatilité sur le marché au T2 2013. La FED avait passé son tour en septembre 2013 à la surprise des marchés et au final ce n’est que le 18 décembre 2013, que la FED a effectivement diminué son programme en passant de 85 milliards de dollars par mois à 75 milliards par mois. Les marchés obligataires ont fortement réagi lors de l’annonce de ce tapering et les marchés actions ont été très volatils mais se sont stabilisés au deuxième semestre 2013 quand les marchés se sont habitués à cette idée de tapering. A mesure que l’activité économique s’est redressée sur 2014, le processus de tapering n’a plus eu autant d’impact sur les marchés taux et actions et les investisseurs ont retrouvé un appétit pour le risque.
Il est possible de dresser des similitudes avec la situation de 2013. Les investisseurs se sont habitués à vivre sous perfusion des politiques monétaires d’assouplissement et l’évocation de tapering a tendance à effrayer les marchés et à provoquer des réactions violentes. En effet en mai 2013, l’inflexion du discours de la FED, avait fait subitement prendre conscience aux investisseurs que les politiques monétaires ultra accommodantes n’étaient pas vouées à durer éternellement. Mais la similitude s’arrête là car pour le moment la terminologie du comité de la BCE n’a pas changé. En outre, la BCE est loin d’avoir utilisé tout l’arsenal possible comme a pu le faire la BoJ qui elle par contre reconnaît avoir atteint les limites de l’exercice. En outre, on est encore loin d’être dans le contexte économique, en Europe qui prévalait aux USA en 2013 au moment du tapering.
Le point bas des taux d’intérêts sur les obligations européennes pourrait donc bien avoir été atteint, sans que nous anticipions une violente hausse des taux. Tout comme aux États-Unis, tout dépendra de l’évolution de la trajectoire de la croissance économique pour identifier des possibles inflexions de la politique monétaire de la BCE.
Néanmoins, il convient de s’interroger dès à présent sur les alternatives possibles pour un investisseur qui aurait la contrainte de rester investi sur de l’obligataire.
En effet, nous sommes dans un contexte de niveaux historiquement bas des taux d’intérêts (des plus bas depuis 50 ans) sur fond d’amélioration de la situation économique et d’un changement très probable de la politique de la FED (première hausse des taux de la FED en décembre).
Les conséquences d’une hausse des taux sur un portefeuille obligataire sont différentes selon que celle-ci impacte seulement une zone, ou plusieurs zones ou qu’elle s’accompagne ou non d’une hausse des spreads de crédit. Historiquement, les impacts sur la performance totale d’un indice obligataire ont été faibles grâce au coussin amortisseur du coupon. Désormais, au vu de la faiblesse des rendements, le coussin est beaucoup plus faible.
Pour un investisseur qui aurait la contrainte de rester investi sur les obligations, les axes possibles pour répondre à l’inquiétude d’une hausse des taux sont :
Soit une baisse de la duration mais avec le risque d’avoir raison trop tôt ce qui peut avoir un coût d’opportunité sur la performance. A titre d’exemples, on a pu avoir le cas au moment de l’annonce du tapering qui a heurté le marché obligataire au printemps 2013 mais qui s’est plus normalisé par la suite.
Soit une introduction de stratégies de type absolute return obligataire : risque de concentration du portefeuille sur les convictions les plus importantes des gestions. Ceci implique une forte confiance dans les capacités des gérants sélectionnés à anticiper les tendances sur les différents segments obligataires. Il est possible d'aboutir à des portefeuilles ayant de fortes convictions et surtout il n’est pas exempt d’avoir des performances calendaires négatives (en 2015 ce genre de stratégie a eu des difficultés de performances) ou tout du moins des performances très volatil.
Soit une augmentation des produits de type "crédits" mais cela accentue le risque du portefeuille surtout si le client a un indice aggregate. Le risque est une augmentation de la volatilité du portefeuille, de la tracking error et de la corrélation avec les actifs risqués. Depuis 2012, les marchés de crédit sont moins corrélés au risque actions du fait de l’intervention de la BCE qui joue le rôle de soutien en étant un nouveau acheteur à part entière. Si la hausse des taux va avec une diminution des actions de la Banque Centrale Européenne, on pourrait avoir un marché du crédit plus heurté. Jusqu’à présent, le crédit a profité des politiques de QE très accommodantes.
Soit un élargissement de l’univers à l’international et plus uniquement Européen mais la couverture du risque de change a un coût. De manière récente on a pu voir l’augmentation du coût de la couverture qui ampute la performance d’un investisseur européen de l’ordre de 1.2 de rendement. Malgré tout, il existe une zone géographique proposant un différentiel de rendement toujours intéressant malgré ce coût de la couverture dollar à savoir les obligations émergentes.
Il n’existe pas de solutions optimales : chacune de ces pistes peut être une stratégie intéressante dans une perspective de hausse des taux mais toutes ces solutions ne sont pas exemptes de risques, que l’investisseur doit apprécier à sa juste mesure.
L’élection de Trump a participé à remettre en lumière les bienfaits d’une politique budgétaire après avoir connu une longue période de politique monétaire expansionniste et les limites d’une telle politique.
A ce stade, les marchés financiers semblent retenir du programme de Trump davantage l’aspect stimulus fiscal que l’aspect protectionnisme. Il est indéniable que les marchés financiers ont été pris au dépourvu par cette victoire. Au final, la réaction des marchés a été contraire à celle qui avait été anticipée dans le cas d’une victoire du candidat républicain. Les marchés obligataires n’ont pas connu un fly to quality mais une réaction violente avec une vente massive et une pentification de la courbe des taux US. Le 10 ans US est passé de 1,85 pré résultat à 2,286 mercredi 16 novembre (+ 43 bps). Dans un cadre plus propice à l’application des mesures du programme de Trump du fait d’un congrès Républicain, le marché a considéré que le stimulus fiscal serait facilement adopté et provoquerait une forte reprise de l’inflation d’où la tension sur les taux. D’ailleurs, dans le sillage de cette élection, le marché prévoit davantage de hausses de taux de la FED l’année prochaine et une forte hausse des perspectives d’inflation. Certains observateurs ont pu faire un parallèle entre le programme de Trump et celui de Reagan (baisse des taxes et dépenses d’infrastructures).
Ainsi, les taux réels, tels exprimés par les TIPS 10 ans se traitent à 0,435 le 16/11 contre 0,12 le 09/11 avant les élections.
Le swap inflation 5 ans dans 5 ans est remonté de manière forte aux USA de 2 ,20 pré résultat, il est monté à 2,50 (+ 13 %) au plus haut post élection et depuis il a tendance à refluer (2,3840 mercredi 16/11).
Les taux européens ont suivi la même tendance par contagion sans que cela soit soutenu par des éléments fondamentaux explicatifs solides, même si l’ampleur a été moindre. Le Bund est passé de 0,186 pré élection à 0,333 mercredi 16/11 (+ 14 points de base). En zone euro, la progression du swap inflation 5 ans dans 5 ans a été moins forte avec au plus haut 1,5850 contre 1,4698 (+8%) pré élection et il a aussi tendance à refluer depuis à 1,5585 mercredi 16/11.
Même en admettant que la hausse des taux FED Funds et de l’inflation soient des éléments allant dans le sens d’une appréciation du dollar versus euro, ce n’est pas suffisant pour faire rebondir significativement l’inflation en zone euro.
Les obligations européennes n’ont pas été immunisées du phénomène US. Au-delà de cette contagion court terme ponctuelle, et pour que les taux européens puissent aller beaucoup plus hauts que les niveaux actuels, il conviendra de surveiller si on observe ou non une accélération de la croissance en Europe. La croissance restera l’indicateur clef et il faudra une tendance plus claire sur la croissance et l’inflation. On reste toujours dans un environnement très accommodant de la BCE , qui éprouve toujours des difficultés à faire remonter l’inflation au niveau de l’objectif des 2 %.
Sophie Ginisty, responsable de la multigestion