Jamais une campagne présidentielle outre-Atlantique n’avait été aussi éloignée des fondamentaux économiques et politiques. Entre diffamations et scandales, les programmes des deux candidats, et plus encore leurs conséquences pour les États-Unis mais aussi sur le reste du monde, sont les grands absents des débats. Alors, forts des quelques exégèses publiées par la presse, comment les gestionnaires d’actifs américains appréhendent-ils l’élection présidentielle ?
Pôle d’expertise sur l’architecture ouverte et la sélection de fonds externes du Groupe Natixis, nous avons, chez VEGA Investment Managers, une relation ancienne et étroite avec de très nombreuses sociétés de gestion américaines. Nous les avons interrogés et leur perception de l’événement est pour le moins étonnante. Sans être un « no event », ces élections semblent assez éloignées de leurs préoccupations quotidiennes, toujours centrées sur la seule sélection des titres. C’est un effet secondaire du Brexit ! Un fois encore en juin dernier en Grande-Bretagne, les sondeurs ont exposé au monde la fragile fiabilité de leurs prédictions. Les gestionnaires américains affichent leur volonté de se focaliser sur les fondamentaux des entreprises, bien plus que sur les probabilités de réaction des marchés financiers à tel ou tel résultat. Construire un portefeuille en fonction d’une victoire d’Hillary Clinton ou Donald Trump revient, ni plus ni moins, à « parier au casino », comme nous l’a expliqué un gérant growth(1) : « cela ne fait pas parti du job, nous construisons un portefeuille sur du factuel, donc sur un horizon plus long qu’un sondage ou une élection ».
Santé, industrie, finance…Quels secteurs sont sous influence électorale ?
Certes, certains secteurs, à l’image de la santé, seront impactés par la politique du vainqueur ; mais le marché a déjà, selon nous, largement pris en compte ces éléments dans les valorisations. Le risque de baisse sur ce type de valeur existe donc bien mais son ampleur sera largement inférieure à ce que nous avons déjà connu. Ainsi, dans la majorité des portefeuilles étudiés, le poids de la santé a été réduit depuis le début d’année : le Tweet d’Hillary et la forte chute qui a suivi, ont poussé à plus de vigilance. Cependant, nous assistons actuellement à un véritable regain d’intérêt : les gérants communiquent sur de nouvelles idées d’investissement sur ce secteur fortement délaissé et pire contributeur à la performance du S&P 500 depuis le début de l’année. Certaines gestions opportunistes commencent même à reconstituer de nouvelles positions, comme sur l’énergie en début d’année. L’histoire semble leur donner raison : la santé subit quasi systématiquement lors des périodes présidentielles, de fortes pertes avant l’élection et retrouve une dynamique boursière positive une fois le nouveau Président élu.
Qu’importe le prochain locataire de la Maison blanche, tous les secteurs susceptibles de bénéficier de programmes liés à l’amélioration des infrastructures, profitent de la période électorale. Les matériaux et l’industrie sont de ceux-là. Mais dans ce cas encore, le marché a déjà bien anticipé et des titres comme Martin Marietta, 1er fournisseur américains de matériaux de construction, (qui devrait continuer à être un des grands gagnants des semaines à venir), ont eu de beaux parcours boursiers.
Alors que les gérants affirment ne pas vouloir prendre de risque sectoriel avant ces élections, suite à l’exemple du Brexit, ou tout du moins que la majeure partie des nouvelles est déjà intégrée dans les cours, nous analysons cependant trois secteurs – Finance, énergie, consommation – où le résultat du vote risquerait d’entraîner une forte volatilité, et où donc certains paris sectoriels ont donc toutefois été pris par les gérants.
Ainsi la finance, autre poids lourd des indices, a fortement souffert. Certes, plus que les élections américaines, ce sont les positions de la Fed sur les taux d’intérêt qui ont aiguillé le marché. La Réserve fédérale souhaite visiblement attendre la fin des élections pour communiquer sur sa hausse des taux, évitant ainsi d’accroitre la volatilité sur les marchés boursiers. Mais, en cas de victoire d’Hillary Clinton, qui souhaite augmenter encore les reformes sur le secteur financier, une nouvelle baisse sur ces valeurs est possible. Autre secteur potentiellement pénalisé par une victoire des Democrates : l’énergie, ces derniers ayant clairement indiqué leur volonté de réformer en faveur des énergies propres.
Enfin, le secteur de la consommation risque de connaitre une phase de volatilité, les positions des candidats étant tranchées. Hillary Clinton souhaite une réforme sur l’immigration et augmenter le salaire minimum. Et Donald Trump veut, remettre en cause, entre autre, le NAFTA (North American Free Trade Agreement), le commerce avec la Chine et l’Asie. En clair, renouer avec le protectionnisme. L’exposition sur les valeurs les plus internationales serait donc pénalisante.
En conclusion, tous les gérants que nous avons interrogés, sont assez consensuels sur l’analyse et les impacts sectoriels à attendre. Un unanimisme qui les pousse à être d’autant plus sélectifs dans leur choix de valeurs, afin de rester les plus fidèles possibles à leurs process de gestion active.
Toujours plus de fond
Autre élément intéressant apparu lors de nos entretiens, la gestion du couple risque/rendement se modifie : le risque idiosyncratique est préféré au risque d’allocation. La construction du portefeuille redevient incontestablement un point très travaillé sur ces dernières semaines. Ceci est surtout visible dans les gestions dite plus « core », celles qui ont préféré se repositionner sur des expositions sectorielles moins éloignées de leur benchmark. De même, nos gérants de convictions n’ont pas effectué de fortes modifications dans leurs portefeuilles et les changements sur les six derniers mois restent marginaux. Ils consistent davantage à des prises de bénéfices et ou des renforcements en fonction des opportunités sur les titres déjà en portefeuille qu’à l’intégration de nouveaux noms ou thèmes à proprement parler. Beaucoup réalisent des analyses de plus en plus proches (pour ne pas dire semblable) à celles du private equity, leurs permettant de prendre des positions très affirmées.
Sans boule de cristal, tous nos interlocuteurs insistent donc l’importance de ce qui est au cœur de leur métier : la connaissance des fondamentaux des business modèles dans les lesquels ils investissent. Certes, l’identité du vainqueur influera sur certaines sociétés, créant une volatilité de court terme. Mais, il convient de ne pas oublier qu’un Président ne vote pas les lois…Remporter la majorité au Congrès et à la Chambre des Représentants sera la prochaine bataille. De nouvelles discussions que nous vous raconterons très bientôt !
Ayala Cohen, gérante de VEGA Grande Amérique